S’écrire mode d'emploi, Vécu mis en fiction, mais jamais inventé.
EAN13
9782814501522
Éditeur
PublieNet
Date de publication
Collection
Temps Réel
Langue
français
Fiches UNIMARC
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S’écrire mode d'emploi

Vécu mis en fiction, mais jamais inventé.

PublieNet

Temps Réel

Livre numérique

  • Aide EAN13 : 9782814501522
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Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. Je le dis, le
redis, sans cesse partout l’affirme. Je m’écris dans des livres, des textes,
des pièces sonores. J’ai décidé de devenir personnage de fiction quand j’ai
réalisé que j’en étais déjà un. A cette différence près que je ne m’écrivais
pas. D’autres s’en occupaient. Personnage secondaire d’une fiction familiale
et figurante passive de la fiction collective. J’ai choisi l’écriture pour me
réapproprier mon corps, mes faits et gestes, et mon identité.
S’écrire mode d’emploi, début.

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Écrire, pourquoi. On connaît les réponses célèbres. Mais, ici, justement : pas
de réponse.

On revient creuser en arrière les livres déjà écrits. Il s’y jouait quoi, de
soi ? On s’y est pris comment, on a buté sur quelle part d’abîme ? On en a
pris quoi pour le livre suivant ?

Des questions posées ici chaque paragraphe après chaque paragraphe, nul de
nous n’est indemne. A preuve la référence Artaud. A preuve le questionnement
renvoyé au monde, le réel dans sa profusion d’image, le réel comme seul
terrain du risque, et comment assumer ce risque.

Sauf que. Modestement, ici, on met en page, on propose des formats, et on met
en circulation. D’un texte discret, on souhaite seulement que la question
résonne. Auteur c’est un travail, il faut du temps, du désarroi, il faut
savoir progressivement rejoindre ces limites de soi-même.

s’écrire, non pas à nu, mais parfaitement à vif

Et la suite :

sans le tissu soyeux de la fiction classique, sans les transferts, les masques

Pour rebondir :

et tous les ornements qui rendent plus confortables tant le pacte d’écriture
que celui de lecture

Importe de comment et d’où cela parle. Des livres et de la théorie sur
l’autofiction, il n’en manque pas (ce texte est l’intervention préparée par
Chloé Delaume pour un colloque à Cerisy, qui se termine aujourd’hui même).
Mais ce qui s’énonce ne part pas de ce qu’on sait, ce qui s’énonce part de
l’inconnu où la suite successive des livres, où chaque livre l’un après
l’autre, nous a emportés.

Ainsi, s’écrit une autobiographie, l’auteur revenant à rebours sur chaque
tentative, depuis l’autonomie de ces tentatives. Mais précisément, son
histoire alors devient cette construction par l’inconnu, pan à pan.

Chloé Delaume n’a pas beaucoup varié de chemin depuis ses Mouflettes
d’Athropos. Son chemin s’est élargi, densifié, compliqué : les performances
peuvent valoir à égalité des livres, en particulier depuis les « Sims »
(Corpus Simsi. Le personnage même de l’auteur a pu devenir en partie
indépendant de ce qui reste, à elle comme aux autres, le lot ordinaire de la
lecture qu’on affronte, du temps à la table, des traversées de silence – voir,
dans ses Remarques, ce qui transparaît du livre en préparation pour Fiction &
Cie au Seuil. Son chemin est une exploration mentale, là où cela suppose
d’affronter, démonter, pousser, représenter les obstacles matériels et
concrets qui sont la seule et fine tension du monde et du langage, où
précisément se retourne cette expérience du mental mis en écriture.

Ainsi, ce texte met à mal la façon dont a été reçue la trilogie « télévision »
de Chloé Delaume (Les Sims, J’habite la télévision, La nuit je suis Buffy
Summers) : la mise en expérience est volontaire (« 22 mois de flux télévisé
continuel »), et l’outil qu’on affronte mêle les forces financières, les
bulldozers d’affadissement culturel (citation de patrick Le Lay, ex manager de
TF1 aux ordres du groupe de béton Bouygues), et la façon dont le monde est
pour nous, même si Schopenhauer nous en avait prévenu, représentation dans sa
façon même de nous englober.

La fin de Buffy Summers renvoie à une fiction tout entière contenue dans
l’expérience psychique d’une narratrice en hôpital psychiatrique : boucle
parfaite avec un des livres les plus dangereux de Chloé Delaume : Certainement
pas.

Il n’y a pas, chez Chloé Delaume, refus de la théorie. On passe par Debord,
Stiegler ou Benassayag. Mais : Autofiction : comme en physique quantique le
fait d’observer change l’état de ce qui est observé. Autofiction : le sujet
n’observe pas seulement ce qu’il vit, le sujet vit ce qu’il observe. Et c’est
cela qu’il nous faut comprendre, chemin en 14 stations parce qu’autant sont
les phases d’écriture successives qu’a traversées Chloé Delaume. La vie, pas
l’écriture. Accepter qu’il y ait une limite, valider la notion de limite.
Faire le deuil de l’immersion totale.

Ce qui est dangereux, c’est de faire de l’autofiction une catégorie
reconnaissable, une spécialité dans le rayon littérature. C’est bien commode,
justement pour les colloques, les unités de valeur ou même la courbe des
ventes. Ça peut rater aussi.

Si ce texte est important, c’est qu’il nie cette possibilité de frontière
close : c’est la notion de fiction que dès le premier paragraphe on
décortique, et auquel on rend sa complexité, dans cette tension entre Je et
monde, ou ce que Chloé Delaume assigne comme Je-monde.

Il y a la littérature, et comme elle nous place en bascule devant ce qui ne se
nomme pas, mais exige qu’on se nomme soi pour un instant y tenir. Et ce qu’on
nomme, alors, n’est pas l’habitat social ordinaire du je. Pour Chloé Delaume,
dès le départ, c’était en s’assignant un nom qui soit fiction, un personnage
qui puisse se traverser par l’ampliation qui commence.

Respect.

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