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4 janvier 2012

Quatre récits de voyages réalisés entre 1982 et 2002. Une période de vingt années ponctuées par des incursions diverses : en Birmanie ("L'Etoile birmane"), au Mexique ("Retour à Coyoacán" et "Journal du Nord"), en Chine ("Shangaï express") et dans l'imaginaire symbolique,  à partir de l'effet "diagrammatique" des plans et cartes du métro parisien ("Profanation du Mandala"). Ce ne sont point des poèmes. La forme est celle du carnet de bord. Le style descriptif, incisif s'emploie à cerner au plus juste l'impression, à capter des fragments du réel sans a-priori exotique, mais toujours en relation avec le texte poétique d'autres auteurs, trace vivante de passages antérieurs en des lieux parfois incertains, reculés, microcosmes oubliés du bout du monde... (Tiens, mais c'était là le nom d'un jardin au-dessus de la Mayenne, toujours retentissant du cri des paons...  Le Jardin du bout du monde, à Château-Gontier ...), ou dans une explosion volcanique, un réveil de géant digne du franchissement du millénaire (Shangaï express).


L'ordre d'exposition n'est ni spatial ni chronologique. Shangaï express relate une promenade dans le poumon économique de la Chine du XXIe siècle, où l'espace urbain navigue entre les îlots du temps. Le modernisme échevelé de la Perle de l'Orient, celui plus nostalgique du Bund et de son Peace hotel, la délicatesse impériale du jardin du Mandarin Yu convergent comme si, à l'image des flots boueux sous un ciel gris du Huang-Po, il n'y avait point de rupture mais incessant et prodigieux écoulement. La raison n'en est-elle pas "l'obsession chinoise des origines, du lignage, de l'appartenance (à un signe, à un clan), bref tout ce qui scelle notre destin" ? 
L'Etoile de Birmanie plonge le lecteur au cœur de l'ancienne capitale du royaume de Pagan : "Visiter Pagan, c'est relire - ou plutôt déchiffrer, car tout est mêlé, rongé, chamboulé, éparpillé - les étapes religieuses, philosophiques et artistiques de l'histoire de l'hindouisme et du boudhisme". Là, stupas et pagodes servent de décor baroque à une bouillonnante Fête des esprits.
Profanation du mandala superpose le plan du métro et du transilien selon les axes cardinaux que décrivent les quatre  principales gares de Paris, à un mandala tibétain, dans une entreprise fantastique rappelant le quotidien transcendant d'une nouvelle de Cortazar : "Le centre est le royaume de l'Ether. Il n'y a rien. Quelqu'un, parfois, élève un temple vide - et invisible - à la Conscience."
Retour à Coyoacán déroule les étapes d'une déambulation à travers ce quartier à l'architecture coloniale de México, où le passé et le présent semblent se livrer à un dialogue de sourds.
Journal de voyage du Nord, enfin, relate un périple entrepris en Nissan par deux couples depuis Mexico jusqu'à San Francisco à travers les étendues désertiques du états du Nord du Mexique et de la Basse Californie mexicaine, en un certain mois torride d'août 1992. 
"Demain, nous regagnerons le Haut Plateau, le pays des volcans. Nous aurons vu des monts ventrus, des canyons effilés, taillés au couteau, des crêtes vagabondes, des sommets trempés dans la brume, des plaines sans poids, comme dépliées dans l'air, vibrantes, suspendues dans la touffeur, des fantômes drapés de laine, des anneaux de feu, des gouffres mauves, les pierres qui écorchent le vent, l'obscure mémoire des bêtes, mais tout cela est donné par surcroît ; au Nord, le vrai paysage, c'est le ciel : l'atelier des nuages."

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4 janvier 2012

"L'enfance d'un poète", par Hector Bianciotti (Le Monde, 26 juillet 1991)

Trop souvent le poète « moderne » aime laisser flotter des phrases tronquées, des bribes, en guise de poème, comme si – entre l’indicible et l’ineffable, aussi loin que possible du concret – elles suffisaient à provoquer cette émotion qui, grâce à un certain agencement des mots, nous donne l’impression que l’on nous raconte un passé que nous ignorions, et que l’on nous éclaire quant aux tourments ou aux bonheurs enfuis de l’âme.
Autant le dire tout de suite, Jean-Claude Masson, dont le Testament du printemps est la première publication en volume, ne professe pas le romantisme de l’inachevé. Ce goût du petit fragment cher à une époque qui fait, comme le rappelait Caillois, un sort extraordinaire à Héraclite, en reléguant au second plan Parménide qui, lui, a laissé un long fragment d’une substantielle cohérence.


Voici donc un poème de mille vers, un livre qui risque de faire scandale, dans le bon sens. D’abord, parce qu’il s’agit d’un poème de « formation », comme on le dit de certains romans, depuis Wilhem Meister ; ensuite, parce qu’on y trouve un poète rompu aux subtilités propres au genre, où les idées et les sons se répondent, les mots se trouvant reliés entre eux par répétitions ou équivalences de temps, sans qu’un seul puisse être déplacé une fois le vers composé. La cadence, la rime, l’allitération, et bien des effets plus subtils, comme certains froissements de syllabes, en un mot, un ton, tels sont quelques-uns des éléments permettant au poète d’apprivoiser cette chose «légère, ailée et sacrée » : la poésie selon Platon.
Il n’est pas interdit de penser que la maîtrise que montre Jean-Claude Masson lui vient en grande partie du métier de traducteur qu’il exerce, à l’ombre des créateurs. Ce sont, en l’occurrence, des auteurs de langue espagnole et portugaise : pour le principal, José Cardoso Pires, Roberto Juarroz, García Márquez, Borges et, surtout, Octavio Paz.
Un vrai traducteur, en particulier lorsqu’il s’agit de poèmes, mérite, en plus de la couronne du martyr, le titre de recréateur : lire un poème traduit est un acte de foi. Et tout le travail de la traduction, comme disait Valery Larbaud, qui s’y connaissait, devient alors « une pesée de mots ». Car c’est dans une délicate balance que le traducteur les dépose, déjà alliés à une musique précise, dans l’espoir de leur en substituer une autre, en préservant leur sens, en les amadouant avec adresse.
Lorsque, délivré de ses tâches, qu’il accomplit avec ferveur, Jean-Claude Masson se retrouve lui-même, il connaît comme personne ce qu’est, en la matière, un coup d’archet, et les longues tenues sur la corde. Sans faire pour autant étalage de son savoir rhétorique ni de ses perspicacités, au contraire : on décèle dans sa manière comme un jeu d’habiletés qui voudraient passer pour des maladresses.
Le Testament du printemps est une sorte d’autobiographie. Le décor une fois dressé, qui est celui de la Wallonie, où l’auteur a vu le jour – « La terre se résigne à une juste épure, le bleu ne clame pas plus / que le vert n’exulte, la ligne consent à la brisure » - il y a la maison de l’enfance où « le temps passait sans y penser, aussi distrait / que les nuages ». Et dans le jardin, le premier papillon - « Couleur de menthe claire, on aurait dit / deux feuilles tendres qui apprenaient à voler » -, la part du rêve.
Aussi, vers après vers, la réalité passée au tamis d’une sensibilité hallucinée, est-on entraîné au-delà de la conscience enfantine, quand les mots et les choses ne se rencontrent pas encore, là où résonne ce chant du monde que l’existence s’emploie à faire taire. Et, au fur et à mesure que l’enfance s’éloigne du jardin et qu’elle se met en marche à la conquête de l’improbable, revêtant des costumes qui ne lui appartiennent pas, commence la magie de la lecture : « Les livres seuls rendaient justice, en nous restituant les origines. / La pressante nostalgie de l’aube, des ruines ». Et surviennent le roman, les livres d’histoire : « Un autre temps / avait existé, c’était le nôtre, on nous l’avait volé ».
L’adolescence arrive, et avec elle l’amour, le premier baiser, les rêves de révolution, le voyage initiatique en Italie et en Grèce, « la plus belle des fêtes / et qui ne comptait pas les jours ». Et ainsi jusqu’à l’âge de vingt ans.
De la mélancolie ? Elle est inévitable – mais nuancée d’une ironie délicate – chez celui qui ressent l’usure du temps, et qui parle, comme lorsqu’on descend en soi à une profondeur certaine, à la place des autres. Pour nommer tout ce qui se tait derrière et autour de nous, sauvegardant ainsi la part du rêve usée par le vent des jours, et que la mort effacera.

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3 janvier 2012

Une adolescence rochefortaise

Mélancolie au Sud évoque certaines atmosphères à la fin des années soixante d’une ville française (Rochefort-sur-Mer), - ses architectures altières et nostalgiques, hantées par la présence de Pierre Loti, les jardins abandonnés de ses faubourgs, ses bords de fleuve engourdis -,mais qui semblait alors si éloignée des convulsions de l’Histoire que Mai 68 y arrivait atténué comme les vaguelettes d’un lointain raz-de-marée…
C’était il y a si longtemps serait-on tenté de dire au mépris du temps « objectif » des calendriers, un temps immobile qui ne connaissait pas le téléphone dans tous les foyers et où, seules, deux ou trois chaînes de la télévision nationale, diffusant leurs programmes au plus tard jusqu’à minuit , servaient de relais…
Mélancolie au Sud ou les états d’une adolescence à l’un des bouts du monde, en ces terres plates et infinies de la Charente Maritime, mais aussi, cet état de la « ferveur retombée » aurait dit le Gide voyageur des Nourritures terrestres, rêve douloureux d’un ailleurs devenu inaccessible : l’Algérie des origines, territoire mythifié parce qu’interdit, son histoire occultée, sa confuse tragédie…
Alors soudain, faisant irruption dans les méandres du temps intérieur et les états délectables de la mélancolie, - c’était un soir de fête nationale, un soir de 14 juillet - , parut le marin de Rochefort.
Une nuit de 14 juillet le marin parut, imprévisible et banal comme le drame. Sans un bruit, le monde alors bascula… (Lettres d'Extremadoure)

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2 janvier 2012

Un périple onirique dans l'Inde du Nord

Dans Suite Indienne, publié en 2001, comme dans le rêve, les frontières sont poreuses et l'instant dans sa pureté semble toujours prêt à s'entrouvrir sur un temps aussi vivant que le présent, où des ombres se meuvent dans la lumière somnambule d'une après-midi, en arrière-plan d'un grouillement de rue, sur le pavement flétri d'une ville morte. Sur les estampes, les figures s'animent parfois et des voix intimes s'élèvent pour dire les passions encloses et les fièvres, les douleurs enfouies d'autres moments jamais perdus : 
"Il y avait encore, devinée entre les pierres, / la respiration de l'esthète reclus, / ses longs regards sur l'ire des dieux, / ses pensées mornes dans le marbre creux / des fontaines, / dans le pan des murs ciselés, / s'agitant soudain avec une rare précipitation, / prisonnier de l'instant sacré / sous le seul cri des singes." (cf. : Lettres d'Extremadoure)

Masson Jean Claude

Gref

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25 décembre 2011

"Incursions poétiques au fil de la planète..."

« “Chantimane” est un mot anglais d’origine française que Jean-Claude Masson a voulu refranciser et qui désignait le marin qui entraînait l’équipage en chantant, en particulier lors des manœuvres les plus rudes et les plus pénibles, une métaphore du poète. » (Judith Beaulieu, L’Express de Toronto, 21-27 avril 1998, à propos du Chantimane).
C'est à de nouvelles incursions poétiques au fil de la planète qu'invite ce recueil publié par les Editions du GREF en 1997. Des lieux pour se perdre et se retrouver : villes frontières dont le passé se noie dans une vague éternité, mais aussi des métropoles agitées et flamboyantes, "toute la misère et tout l'or du monde".
Ainsi, Biskra ("Dans ta fin est ton commencement"), ancienne capitale des Aurès aux portes du désert donne l'un des tons du livre : "Je suis venu dans ce pays sans musique / pour me punir, / jour après jour sous le soleil humiliant, / à scruter les pierres, / les palmiers poudreux et pelés, / la saleté du sable. Gide et Wilde ne m'évoquent rien [...]". Mais aussi l'Inde et "sa ville des morts", Bangkok, Vientiane, Uxmal, les ciels demesurés du Nouveau Monde, l'infini de la route américaine, le bus de Buffalo, la clarté des étés de Corinthe, "les jardins sucrés de l'Alhambra" ou "ceux de l'Agdal dans Marrakech la rouge"...
Car au bout de la course, l'or du monde n'est-il pas l'éclat recueilli par le regard du voyageur, jamais lassé de chercher à voir, jamais blasé des miracles humains, détresses, capitulations et métamorphoses : "Le coeur de l'Orient bat sous le pont de Galata, / l'ombre de Rumi se profile encore sur les murs / de Konya [...]".
"Toute la misère tout l'or du monde"... Sans oublier Venise et les Saintes Maries, "les dunes d'Ostende à midi sous le vent", New York ,"cathédrale du siècle", et des errances encore dans les mille Paris, au long de leurs innombrables chemins de poète...